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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 novembre [1847], mardi matin, 9 h.

Bonjour, mon Toto adoré, bonjour mon cher petit homme, bonjour et bonheur à toi et à tous ceux que tu aimes. Comment va ta chère petite main ce matin ? [1] Tu l’as beaucoup fatiguée cette nuit mais j’espère que tu ne t’en ressentiras pas aujourd’hui. D’ailleurs je suis là, moi, avec ma belle écriture, enfin cela vaudrait mieux encore à tout prendre que de te faire du mal ? Je te promets de ne pas dormir si tu veux bien utiliser mon talent. Je t’ai déjà prouvé que je pouvais être très éveillée quand tu m’occupais de cette façon. Ce qui m’endort c’est le silence, l’immobilité. Merci, mon bien-aimé, merci, mon adoré, des bonnes paroles rassurantes que tu m’as dites cette nuit mais je t’assure que je n’ai pas peur. Je te dis ce que j’éprouve et puis du reste je me confie au bon Dieu qui fera ce qu’il lui plaira. S’il écoute ma prière il me laissera vivre autant de temps que tu m’aimeras. Tu vois que je n’ai aucune raison pour m’alarmer des symptômes dont je te parlais cette nuit. Je suis persuadée que tant que tu m’aimeras je ne mourrai pas. Ai-je raison ? Je crois que oui. Cette conviction vaut mieux que tousa les globules de la science. Quand il fera beau je sortirai aux heures où tu ne dois pas venir. Il me serait désagréable de risquer de ne pas te voir même une seule fois. Il n’y a pas de raisons de santé assez fortes pour me faire sacrifier mon bonheur à elles. C’est dit, c’est convenu. Et puis il dépend de toi que je ne souffre jamais il suffit que tu m’aimes, et que tu m’aimes, et encore que tu m’aimes de plus en plus pour me faire vivre autant et plus que Mathusalem. Essaye et tu verras. En attendant je te baise sur toutes les coutures.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 262-263
Transcription de Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « toutes ».


30 novembre [1847], mardi midi

Comment t’es-tu tiré de la porte cette nuit, mon Victor ? J’ai du remords de t’avoir laissé aller seul, et si ta pauvre main en a souffert comme je le crains, je suis un monstre impardonnable [2]. J’aurais dû ne pas t’écouter et aller te reconduire. Il est bien temps aujourd’hui insister là-dessus, c’est bien spirituel et bien courageux ! Pauvre adoré, tu n’aurais pas dû t’opposer à ce que je voulais ? Ou plutôt j’aurais dû passer outre ta défense et ne pas risquer de te faire beaucoup de mal. Enfin, il n’y a plus à revenir là-dessus et ma paresse sera bientôt trop punie si elle a à se reprocher de t’avoir fait du mal. Si tu viens tout à l’heure, je saurai à quoi m’en tenir, mais en attendant je vais malgré moi à toutes les plus mauvaises suppositions. Cela m’apprendra une autre fois à ne pas me dorloter quand tu souffres et qu’il faut avoir soin de toi.
Si tu es prudent aujourd’hui tu me feras écrire sous ta dictée. Cette nuit, c’était presque impossible à cause du genre de travail que c’était, mais autrement je suis très en état de t’aider maintenant, surtout que j’ai de bonnes plumes. Je puis écrire le double plus vite quand j’ai une plume qui ne me force pas à revenir dix fois sur la même chose. Dans ce moment-ci j’en ai une qui va toute seule et comme le vent, et cependant elle traîne avec elle tout ce que j’ai en moi de tendresse et d’amour, y compris ma stupidité, ce qui n’est pas un léger bagage. Sur je te vois dire oui, je ne te demanderai que de me baiser. Voilà tout.

Collection particulière [Hôtel des Ventes d’Avignon, 30 juin 2023]
Transcription du vendeur

Notes

[1Victor Hugo a dû interrompre le manuscrit de Jean Tréjean le 15 novembre après s’être foulé le pouce droit. Il le reprend dans la nuit du 29, d’où la sollicitude de Juliette.

[2Le 15 novembre, une foulure au pouce droit a obligé Hugo à s’interrompre dans la rédaction de Jean Tréjean (première version des Misérables).

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