8 décembre [1838], samedi après-midi, 1 h. ½
Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour mon cher petit homme, vous pensez bien qu’il n’est pas l’heure que je vous marque ci-dessus. Ma pendule avance d’une heure. Ah ça mon cher petit bien-aimé, vous n’y pensez pas de promettre toutes les nuits que vous viendrez me chercher le matin pour faire mes emplettes et de ne pas tenir votre promesse. Je n’ai pas de bois aujourd’hui, il va falloir acheter des collerets [1] et geler de froid. Enfin vous le voulez et je reconnais qu’en cela comme en tout vous êtes le maître.
Je ne sais pas ce que tu fais de si pressé, mon Toto, mais je te vois moins que jamais et plus affairé qu’auparavant ta pièce. Je ne te demande [pas] de me dire la chose si tu crois devoir me la cacher mais il n’est pas probable que c’est une réimpression qui te prend ton temps à ce point là. Papa est bien i. J’aime bien mon Toto et puis je suis un peu inquiète et un peu beaucoup jalouse et puis je vous aime et voilà tout. Je suis prête à tout si vous venez je passerai seulement ma robe et coifferai mon vieux chapeau où pend comiquement un ruban dégommé. Jour papa. Je vous aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16336, f. 214-215
Transcription de Sophie Gondolle assistée de Gérard Pouchain
8 décembre [1838], samedi soir, 9 h.
Où êtes-vous, mon cher petit homme ? Que faites-vous mon Toto ? à qui pensez-vous et qui aimez-vous ? Voilà ce que je me demande toujours et voilà ce que je me réponds invariablement : « Mon Toto je suis là, mon Toto je t’aime, mon Toto je t’écris, mon Toto je te désire, mon Toto je t’adore. » C’est ce qu’on appelle faire la demande et la réponse. Mais mon petit homme, si je réponds et si j’aime pour vous, il faut que vous soyez très heureux et très fidèle autant que moi car quoique vous ayez la bêtise de me soupçonner, je suis très fidèle et très loyale avec vous. Je suis même très heureuse quand vous le voulez, témoin cette nuit où je m’en suis donné à cœur joie et à bouche que veux-tu. Vous ne pouvez pas dire le contraire, vieux sournois. Quant à vous, je ne sais pas ce que vous en avez fait de ce bon bonheur de cette nuit. Vous le laissez tomber par terre pendant que je m’en lèche les barbes. Soir Toto. Je ris avec vous. Tu te fâches pas. Je t’aime tant, mon adoré, je vous aime mon Toto chéri. Que je suis bien aise d’avoir un petit moment de joie avec vous. Je soupire cependant car il est probable que vous êtes au théâtre à présent [2] et que vous m’oubliez.
Juliette
Collection particulière [Vente Catawiki B. V., 13 août 2023]
Transcription de Jean-Marc Gomis