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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 mars 1864

Guernesey, 10 mars [18]64, jeudi matin, 7 h. ½

Je t’ai vu, mon bien-aimé, tu m’as souri et tu m’as fait tous les petits signes tendres qui font battre mon cœur, je suis heureuse, je te bénis et je t’adore. Tu étais levé de bien bonne heure, j’espère que c’est signe que tu as bien dormi et que tu es bien reposé ce matin. Quant à moi j’ai très peu et très mal dormi mais cela ne m’étonne pas après la contrariété vive que m’avait causée la nouvelle soulerie de Suzanne, obligée de monter à quatre pattes pour se coucher après avoir rempli la cuisine de ses immondices. La pauvre petite Élisabeth en était écœurée et consternée et moi, en proie à un accès nerveux, je m’en suis prise à mes yeux et à mon sommeil comme toujours. Ce matin je suis brisée et découragée car je vois qu’il faut renoncer à tout espoir de guérir cette malheureuse de son ignoble passion qui augmente de jour en jour quelle quea soit ma surveillance. Je crains de tomber malade dans cette lutte inutile et alors qu’est-ce que je deviendrai avec cette fille sans raison ? Depuis six mois son ivrognerie a fait de tels progrès qu’il n’y a plus pour moi de tranquillité possible. D’un autre côté je suis attachée à cette malheureuse fille pour les bonnes qualités qu’elle a et surtout pour celles qu’elle m’a fait acquérir en exerçant ma patience et mon courage en toute chose. Laquelle des deux doit se sacrifier à l’autre ? Je te le laisse à décider mais je crains bien que ce ne soit moi pourvu que cela dure encore quelque temps comme cela. Quand je pense à tout ce que tu fais pour mon bonheur, mon cher doux adoré, et au chagrin que me fait cette malheureuse fille comme pour m’empêcher d’en jouir, je sens une sorte d’amertume entrer dans mon cœur et se mêler malgré moi au bonheur que je te dois. Mais je t’aime, mon adoré. Je t’aime.

BnF, Mss, NAF 16385, f. 69
Transcription de Marie-Laure Prévost

a) « quelque ».

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