Guernesey, 2 mars [18]64, mercredi soir, 5 h. ½
Je ne croirais pas ma journée bien remplie, mon cher adoré, si je n’y fourrais pas un bout de restitus comme appoint de toutes les occupations qui l’ont encombrée aujourd’hui et avant que la nuit n’arrive tout à fait. Je te donne mon cœur avec tout ce qu’il contient d’amour, de tendresse, de vénération et d’adoration pour toi. J’ai été bien privée de ne pouvoir pas sortir avec toi et d’aller voir les ravissants travaux que tu continues à faire chez NOUS. Ce n’est pas l’envie qui m’a manqué, certes, mais la blanchisseuse et tout ce qui s’en suit m’ont forcée à rester chez MOI. Mais demain quelle revanche ! Je voudrais déjà y être, à demain, pour voir quel progrès nouveau a fait ton paradis. Et pourtant je ne suis pas pressée d’y aller, dans ce paradis, et plus le moment approche et plus je voudrais le reculer tant je tiens à ma chère petite maison de laquelle je vois la tienne et d’où mes yeux rencontrent tes yeux et mes baisers tes tendresses. Ce sera un grand chagrin pour moi le jour où il me faudra renoncer à ce bonheur VOISIN. Il faudra que tu te multiplies bien auprès de moi là-bas pour que mes regrets ne persistent pas. En attendant je t’adore de tout près.
J.
BnF, Mss, NAF 16385, f. 61
Transcription de Marie-Laure Prévost