Guernesey, 3 janvier 1864, dimanche matin, 9 h. ½
Rebonjour, mon cher petit homme, et bonheur si tu as, comme moi, passé une très bonne nuit. Voici un temps TONIQUE [1] s’il en fut, cependant tu feras bien de ne pas trop t’y fier quand tu sortiras car les rhumes errent nombreux et variés dans la ville et à la campagne en ce moment et je t’assure que rien n’est moins amusant que d’en rencontrer un même quand il est bon. Justement voici qu’il neigeotte et ton lit est encore dehors. Ce n’est pas le moyen d’éviter le mal que je te signale. Je voudrais être chez toi à présent pour rentrer tout cela et le mettre vis-à-vis d’un bon feu afina de le bien sécher. Mon bonheur serait de te soigner, de te dorloterb, de te gâter au lieu de vivre comme une poule en pâte dans mon coin. Malheureusement cela ne se peut pas car le bon Dieu ne veut pas du bonheur parfait en ce monde. Pourvu encore qu’il nous le donne dans l’autre sans en rien retrancher nous pouvons nous résigner à la portion congrue de celui-ci. Espérons que c’est ainsi là-haut et que nous habiterons ensemble la même maison, la même chambre, le même lit avec le même amour. En attendant résignons-nous et serrons nos âmes l’une contre l’autre pour qu’aucun refroidissement ne nous approche et ne se mette entre nous. Ah ! voilà que tu as fermé ta fenêtre et rentré ton lit ! merci, mon cher petit homme, merci pour toi et pour moi. Tout ce que tu fais pour ta santé, je le ressens comme un bienfait personnel. Merci encore, sois prudent, ménage-toi, soigne-toic bien et aime-moi. Je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16385, f. 4
Transcription de Marie-Laure Prévost
a) « à fin ».
b) « dorlotter ».
c) « soignes-toi ».