Guernesey, 2 janvier 1864, samedi matin, 8 h. ½
Bonjour, mon ineffable adoré, bonjour tout cœur et toutea âme dehors pour que tu voies mieux à quel point je t’aime. Je suis bien punie d’avoir fait la paresseuse ce matin car cela t’a donné le temps de faire toutes tes ablutions froides et chaudes et de te retirer dans LE FOND DE TES APPARTEMENTS d’où il m’est impossible de te voir et d’où je ne peux pas être vue par toi. Je suis donc punie par où j’ai péché. Cela m’apprendra une autre foisb à ne pas ronronner dans mon lit surtout quand j’ai passé une very good nuit comme celle-ci. Une autre foisb on ne m’y reprendra plus. En attendant j’ai dormi comme un noir [1] et rien ne me serait plus doux que de savoir que tu en as fait de même de ton côté malgré l’embêtement Suzanne que j’ai fait déteindre sur toi hier au soir bien malgré moi et à ce sujet, mon cher bien-aimé, je te dirai que si quelque chose peut retenir la susdite Suzanne dans son penchant à LEVER LE COUDE, comme disent les pochards de vocation, c’est qu’elle croie, qu’excepté que si tout le monde l’ignore le jour où elle n’aura plus cette crainte elle fera très bon marché je crois de sa vergogne ou bien elle s’en ira de chez moi tout de suite par honte. Or je n’ai personne pour la remplacer car je ne compte pas sur ta Marie, laquelle ne voudra pas avec raison changer le doux farnientec de ta maison contre l’activité très réelle de la mienne ou si elle le faisait je n’y gagnerais rien car elle aurait pour appuyer sa fainéantise ceci à me dire QUE JE SUIS TROP HEUREUSE DE L’AVOIR TROUVÉE. Quant à en prendre une au hasard dans ce pays de l’ivrognerie et de la débauche c’est courir le risque de retomber dans le même vice que celui que je veux expulser, doublé de beaucoup d’autres. Le sage serait, je crois, de nous taire tout le temps que nous ferons l’expérience de la guérison de Suzanne et puis je t’adore incurablement.
BnF, Mss, NAF 16385, f. 3
Transcription de Marie-Laure Prévost
a) « tout ».
b) « autrefois ».
c) « far niente ».