Guernesey 17 août [18]78, samedi matin, 5 h. ½
Cher adoré, tu es ma dernière pensée quand je m’endors et ma première pensée quand je me réveille, comme tu es le battement de mon cœur et la passion de mon âme. Tu es ma joie et ma tristesse. Tu es le bonheur et le malheur de ma vie. Tu en es l’orgueil et l’humiliation, tu es mon commencement et ma fin. Tu peux, s’il te plaît, tuer mon âme immortelle et la jeter au néant éternel en cessant de m’aimer. Mon cœur est las de soulever cet amour de Sisyphea au plus haut des cieux et qui retombe sur lui sans cesse de tout son poids maudit. Plutôt que de souffrir encore ces horribles affres de l’amour trompé et outragé je te demande à toi et à Dieu avec ce qui me reste encore de force la mort tout de suite, la mort du corps et la mort de l’âme. J’espère que vous aurez tous les deux, Dieu et toi, pitié de moi qui n’ai pas trop de tort envers vous que de croire en vous et de vous adorer. Soyez bénis.
Collection particulière
Lettre glissée dans un exemplaire truffé de Toute la lyre
Transcription de Jean-Marc Gomis
a) « Syziphe ».