12 octobre [1850], samedi matin, 7 h. ½
Bonjour, mon Toto aimé, bonjour, mon cher adoré, bonjour, je t’aime, bonjour. J’ai vu Vilain hier, qui devait aller retrouver Charles au coin de son feu et qui m’a dit que vous étiez tous au spectacle. Je le savais déjà puisque tu me l’avais dit, mais j’espérais que cette magnifique insouciance que tu m’avais témoignée aurait le dessus et que tu n’y serais pas allé. Je l’espérais avec la secrète pensée que tu partagerais avec moi ta soirée, devenue libre par l’absence de ta famille. Mais j’ai été attrapéea comme toujours. Cela ne m’empêche pas de trouver bon que tu t’amuses, mon pauvre bien-aimé, surtout quand c’est avec ta famille et si tu m’es bien fidèle. Je sens bien que tu as besoin de distractions et je me rends bien la justice que je n’en suis plus une. Je suis contente si tu t’es amusé. Je suis heureuse si tu te portes bien et si tu m’aimes un peu. Il fait un temps bien beau pour le moment, mais qui est trop beau pour durer longtemps je le crains. J’ai envie d’en profiter avant même d’être débarbouillée pour faire différentes courses que j’ai à faire et pour changer ton billet en même temps. Il faut que j’opteb entre te voir le matin ou l’après-midi. J’aime mieux faire le sacrifice de la matinée parce qu’en somme, c’est le moment où je te vois le moins. J’irai voir Eugénie en même temps afin qu’une fois rentrée chez moi je n’en sorte plus. Je vous en préviens, mon petit homme, pour que vous ne pensiez pas que je courec la prétentaine de préférence à rester avec vous parce que rien n’est moins vrai ni moins vraisemblable que cette supposition absurde et injuste puisque mon bonheur est de vous voir toujours.
MVHP, MS a8463
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux
a) « attrappée ».
b) « obte ».
c) « courre ».
12 octobre [1850], samedi matin, 8 h.
Je continue tout d’une haleine mes deux gribouillis car aussi bien je n’aurai pas plus de choses à vous dire tantôt qu’à présent à moins qu’il ne m’arrive des aventures d’ici là ce qui n’est guère probable. D’ailleurs en rentrant j’aurai ma grande peignerie à exécuter à fond et je veux être prête pour quand vous reviendrez afin de ne plus vous quitter et d’assister à la dernière toilette de votre fameux coq [1]. J’avoue qu’il est encore plus beau que l’autre quoique l’autre me plaise et que je m’en licherais très bien les babines si vous vouliez m’en faire HOMMAGE. Du reste vous ne manquez pas de pratiques si j’en juge d’après les rugissements de ce pauvre Vilain, lequel ferait toutes les bassesses du monde pour en avoir un à lui donné. Si jamais tu te sens en veine de pitié, ce qui n’est pas rare, tu LUI en donneras à lui en main, sous entendu, propre, tu le combleras de joie. Après cela je vous demande un peu de quoi je me mêle de faire donner des dessins aux autres quand moi-même je tire la langue inutilement devant vos splendides margouillis [2]. Demande donc pour toi, malheureuse Juju, et laisse les autres se brosser le ventre au soleil, s’il y en a. C’est là la vraie générosité il n’y en aa pas d’autres. Tout le reste c’est de la blague en fa dièseb ou ré mineur. Vous devez vous y connaître vous qui allez applaudir Mme Ugalde. Voime, voime, un fameux dilettantec que MÔSIEUR Toto vous pouvez en demander des nouvelles aux orgues de barbarie, aux chiens qui chantent des nocturnes à la lune et aux roues de charrettes mal graissées qui roucoulent des airs plaintifs sur les routes défoncées. Cette harmonie et cette mélodie enragée sont les seules qui charment les OUIES de ce grand musicien qu’on appelle Toto et que j’adore de tous mes uts de poitrine [3] et d’ailleurs.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16368, f. 297-298
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
a) « il n’y en n’a ».
b) « dièze ».
c) « diletante ».