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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 août [1850], mardi soir, 10 h. ½

Bonsoir, mon bon petit homme, bonsoir. Je vais me coucher tout à l’heure, tâche d’en faire autant, pour te reposer d’abord, ensuite pour ma tranquillité personnelle. Je ne suis contente et en sécurité que lorsque je te sais seule chez toi endormi bien sagement dans ton dodo. Au lieu de cela, il paraît que vous faites je ne sais quoi tous les jours et tous les soirs avec je ne sais qui. Prenez garde à vous, mon petit homme, car je vous guette au passage.
Je suis revenue de chez mes Marquis [1] après une assez courte visite chez eux. J’ai été obligée l’omnibus de cinquinte cintime parce que je n’avais aucun Lacombe pour me conduire jusqu’à celui de la barrière. J’avoue que je n’avais pas pensé à cela et que j’aurais peut-être eu la faiblesse de rester chez moi pour ne pas ajouter quatre sous de plus aux fonds alloués pour ce voyage. D’un autre côté, la soirée est si longue toute seule et je suis si parfaitement reçue chez ces braves gens que je me laisse aller volontiers à la tentation de les voir quand cela ne diminue pas d’une seconde le bonheur d’être avec toi. Du reste, tu as deviné le vrai motif qui me fait m’abstenir d’aller chez Eugénie le soir. Il serait vraiment bien absurde que ce pauvre Charlot me prit en grippe sur des préventions mal fondées quand je l’aime si maternellement [2]. J’irai chez la pauvre Eugénie dans le jour aux heures où je crois la trouver seule. Demain par exemple, dès que je serai habillée, j’irai la voir. Je tiens à ce que la pauvre femme n’ait aucun sujet apparent d’amertume contre moi. Je t’aime mon Victor. Je te bénis mon petit homme.

Juliette

MVHP, MS a8440
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux


27 août [1850], mardi soir, 11 h.

Je ne l’avais pas écrit ce matin à cause de mon bain et de tous les arias que cela entraîne chez moi ce jour-là à cause du nettoyagea sterling. Tu vois que je m’en dédommage ce soir en te griffouillant d’arrache-plume un tas de billevesées qui ne valent même pas la peine d’être chantées en fa dièse ou en ut bémol. Cependant, Dieu sait quelleb lamentation je pousse depuis l’orteil jusqu’à la pointe des cheveux en voyant ma pauvre salle à manger dans l’état où elle est. Cela fait frémir de la voir et je doute qu’un bon-breton voulut y entrer, même pour y faire le contraire de sa destination ordinaire. Jamais sâle à manger n’a plus justifiéc de son titre, c’est horrible et cela me porte à tous les excès de calemboursd de coq-à-l’âne et de calembredaines possibles. À propos de calembredaines, on dit Louis-Philippe mort et on donne même des détails sur ses derniers moments, mais comme cela vient de la fabrique du Moniteur du soir, j’y ajoute une crédulité médiocre. Du reste, le pauvre homme, c’est ce qu’il aurait eu de mieux à faire et je l’en féliciterais plutôt que je ne le plaindrais. L’article au sujet du musée [Hundish ? Handish ?] par l’Événement aurait un double mérite d’à-propose et de loyauté dont je suis très contente. Pour ma part, quand je compare l’attitude et la rédaction de ce journal à tous les autres, je me sens toute fière et toute heureuse comme si j’y étais pour autre chose que pour ma sympathie pour les rédacteurs. Tiens, tiens, Juju qui parle politique. Voime, voime, tout le monde s’en mêle grâce à la République sous laquelle nous avons l’honneur de vivre. Bientôt, je l’espère, elle me rendra mes droits civiques et politiques, cette bonne République et je vous ferai la nique à toutes vos répliques et malgré vos suppliquesf.

Juliette

MVHP, MS a8441
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux

a) « netoyage ».
b) « qu’elle ».
c) « justifier ».
d) « calembourgs ».
e) « apropos »
f) « supliques ».

Notes

[1Les Montferrier.

[2Charles Hugo fréquente Victor Vilain, artiste compagnon d’Eugénie Drouet, cousine de Juliette Drouet. Juliette préfère éviter de le rencontrer, pour éviter une situation embarrassante.

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