26 août [1850], dimanche après-midi, 2 h.
Je ne t’ai pas encore écrit, mon cher petit homme, mais je pense à toi et je t’aime sans interruption. Depuis ce matin je suis occupée à des choses de ménage et à des raccommodages sans fin, voilà pourquoi je suis en retard avec moi-même. Comment vas-tu, mon doux adoré ? As-tu pensé hier à te gargariser ? Peut-être n’avais-tu pas d’eau de menthe ? Je m’en suis bien voulu de t’avoir laissé oublier ce soin important avant de sortir de la maison. Malheureusement, les regrets ne suppléent pas au remède non appliqué.
Cher petit homme, tu as bien fait de te retourner hier. L’autre jour, j’avais remarqué avec tristesse que tu ne t’étais pas retourné une seule fois pendant le court trajet de la rue de Chartres au rond-point. Mais hier j’ai été bien agréablement surprise en voyant ta belle et noble tête se tourner vers moi. Tu t’es peut-être aperçu qu’on m’appelait et qu’on courait après moi de ce même rond-point ? C’était la sœur de Mme de Montferrier et le Lacombe qui étaient venus au-devant de moi et qui ne m’ont vue que lorsque je t’ai quitté. Du reste, tout le monde m’attendait avec des dents longues, des regards mourants et des tiraillements d’estomac. Cependant, Dieu sait que je leur avais sacrifié une heure et demiea de bonheur d’être avec toi, chose que je ne recommencerais pas tous les jours malgré leur bonne cuisine, leur aimable cordialité et leurs pressantes sollicitations. Aujourd’hui encore, il ne tiendrait qu’à moi d’aller manger les restes du festin, on m’en a priée à mains jointes ; jusqu’à Lacombe qui s’est mis à genoux, mais j’ai été inflexible. J’aime mieux mon simple pot-au-feu avec vous que toutes les goinfreries de l’univers sans vous. Voilà mon opinion, tant pire si elle vous choque. Mais ce qui ne me choquerait pas énormément, ce serait de vous voir tout de suite.
Juliette
MVHP, MS a8438
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux
a) « demi ».
26 août [1850], lundi après-midi, 2 h. ½
J’ai envoyé savoir des nouvelles de tous les pauvres malades ce matin. Eugénie, sans souffrir davantage, est beaucoup plus enflée et le pauvre Auguste [1] est toujours dans le même état plutôt pire que mieux. Il a entre autre mauvaise chose, des hémorragies fréquentes et très longues par le nez, ce qui l’affaiblit énormément. Cependant, tout n’est pas désespéré et peut-être, mon Dieu, qu’Eugénie se tirera mieux que je n’ose l’espérer de cette effrayante maladie. L’important est qu’elle ne s’inquiète pas et que les bons soins ne lui manquent pas non plus. Il me semble que j’aurais plus de confiance si je te voyais. Ta présence porte bonheur à tous ceux qui te voienta. Ton amour, c’est le paradis. Tâche de venir bien vite, mon Victor adoré ! Justement te voici quel bonheur !!!!!!!
Lundi soir, 11 h.
Je ne veux pas me coucher sans avoir rempli ma tâche, mon petit homme. Quand je ne vous ai parachevé mes deux gribouillis au moment où je me couche, je suis toute mal à mon aise et je sens qu’il manque quelque chose de très important à mon existence. J’ai fait votre commission, mon petit homme, et en même temps je suis allée savoir des nouvelles d’Auguste, mais sans monter, chez le portier seulement. Il était toujours dans le même état. Est-ce bon signe ? J’espère que oui. En attendant, je plains de toute mon âme sa pauvre malheureuse tante et je regrette que la petite vérole du petit bonhomme m’empêche d’aller l’aider et la consoler. Pendant que j’étais à toutes ces courses, Vilain est venu mais il n’a rien dit à Suzanne qui elle-même n’a pas songé à lui demander des nouvelles d’Eugénie. Cher adoré, voilà mon verbiage fini. Bonsoir, dors bien, je te baise et je t’adore.
Juliette
MVHP, MS a8439
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux
a) « voie ».