14 août [1850], mercredi matin, 8 h.
Bonjour mon Toto, bonjour mon perfide bien-aimé, bonjour profond scélérat, bonjour. Prenez garde à vous, je veille et je garde mes armes. Si par impossible, vous êtes les plus honnête et le plus vertueux des hommes, je m’empresse de me prosterner à vos sacrés genoux pour vous demander très humblement pardon de mes soupçons injurieux. Mais pour cela, il faudrait me prouver que votre innocence est plus blanche que neige. Voilà ce que tous les Bernard et les Chaumontel de Paris et de la banlieue ne pourraient pas faire peut-être, ce qui me confirme de plus en plus dans mes inquiétudes et me fait rester au port d’armes, fine et immobile, la jalousie sur la détente, prête à faire feu à la moindre apparence de trahison. Je ne vous cache pas mon jeu, au contraire, j’imite en cela la prudence de certains maris de l’Antiquité qui envoyaient prévenir d’avance de leur retour leurs chastes épouses. Vous conviendrez que si vous vous laissez surprendre en flagrant délit de boule-rouges [1], de lorettes et de madeleine de toutes les coutures, vous serez cent mille fois maladroit et indigne de toute indulgence et de toute pitié. Maintenant vous pouvez dresser votre plan de campagne en conséquence. Moi je garde le mien qui est fort simple. Nous verrons lequel de nous deux sera le plus fort du capitaine Toto ou de l’amazone Juju.
Juliette
Leeds, BC MS 19c Drouet/1850/32
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
14 août [1850], mercredi matin, 11 h. ¾
Il n’est pas probable que vous fassiez aucune partie de campagne aujourd’hui, mon petit homme, car le temps est trop froid et trop pluvieux. Dans ce cas-là tu pourras peut-être prolonger ta visite chez moi, ce qui me comblerait de joie. Cependant je sais par expérience combien je profite peu d’aucune chance, de celles du moins qui peuvent te faire rester avec moi, aussi je n’y compte pas. Si tu viens de bonne heure et si restes longtemps avec moi je serai très heureuse et très triste si tu t’en vas tout de suite. Voilà mon petit bien-aimé, ce qui se passera infailliblement dans l’un ou dans l’autre cas. Ce sont les deux plateaux de balance qui penchent selon que tu mets d’un côté ou de l’autre ta présence ou ton absence. Quant à mon projet d’aller chez Mme de Montferrier, le temps me le rend presque impraticable car je pourrais me trouver bloquée par la pluie et forcée de m’arrêter pour tout la nuit, ce que je veux faire le moins possible parce que, comme tu le dis très bien : la distance est une double absence. C’est déjà beaucoup trop de la simple. J’irai voir Eugénie et je reviendrai me coucher de bonne heure. J’aurai plus de temps de ne penser qu’à toi.
Juliette
Leeds, BC MS 19c Drouet/1850/33
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette