10 août [1850], samedi après-midi, 2 h.
Je ne suis pas très matinale, comme vous voyez, mon cher petit homme, cela tient à ce que j’ai voulu faire mes grands nettoyagesa dès le matin. Puis le père Künckel qui vient de venir pour la dernière fois et qui a insisté de nouveau sur la nécessité des bains de mer et me recommandant de renouveler au printemps un petit traitement d’une quinzaine de jours, sans parler des divers conseils de régime à suivre. Malheureusement, toutes ces belles prescriptions ne s’accordent par avec celle de M. Louis ni avec votre loisir, ni avec votre bourse, de sorte que je les regarde comme non avenues et que je me résigne d’avance à toutes les conséquences et à toutes les rougeurs qui en résulteront. D’ailleurs, j’ai encore d’autres données dans l’âme et ce ne sont pas les moins cuisantes. Pour peu que je les garde encore longtemps, je suis capable de faire une vraie maladie ; je ne le dis pas du tout en riant, on ne rit pas avec des choses aussi lugubres, je le dis dans un profond désespoir et avec la conviction de mon impuissance à me tirer de cette affreuse position si personne ne vient à mon secours. Qu’est-ce qui a six tigres à cinq griffes à me prêter ????????????
Quelqu’un répondra-t-il ? …. Je prie et puis j’attends. J’appelle et puis j’écoute ! Voime, voime, tu as beau crier bien fort, les oreilles des hommes sont dures pour Juju.
MVHP, MS a9087
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux
a) « nétoyages ».
10 août [1850], samedi après-midi, 2 h. ¾
C’était le cinq août. Ô sombre destinée. C’était le premier jour de ma dernière année [1] si j’en juge d’après les affreux ravages que ces cinq jours hideux ont déjà fait dans ma vie. Il paraît que ce mois caniculaire et orageux est fatal aux Juju comme aux têtes couronnées. Cette commune destinée a quelque chose de flatteur, mais pas consolant et mon découragement est à la hauteur de mon malheur. Et vous, monstre d’homme, tigre à cœur de représentant, soyez flétri, devant votre Juju qui tombe, vieux toto qui ne donnez pas vingt francs pour l’arracher à sa tombe [2]. Mais je serai vengée j’en ai la douce espérance. En attendant, je me consume à petits feux et dans les lentes agonies de la faim. C’est bien honteux pour un homme qui se prétend le représentant de cent dix-sept mille hommes civilisés. La postérité vous jugera. Quant à moi, je vous dévoue d’avance à tous les dieux infernaux et réactionnaires.
10 août, samedi soir, 10 h. ½
Je ne veux pas me coucher sans achever mon imprécation commencée. Oui, puissent tous les blafards se mettre à vos trousses pour vous houspiller, vous harceler, vous scier et vous tanner. Puissent tous les Montalembert, tous les Estancelin, tous les Parieu et tous les Rouhers y concourir. Moi seule en être cause et mourir de plaisir [3].
Juliette
MVHP, MS a9088-2
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux