5 août [1850], lundi matin, 7 h. ¾
Bonjour, mon pauvre bien-aimé souffrant, bonjour mon doux être adoré, comment vas-tu ? La fatigue d’hier et la chaleur ne t’ont-elles pas fait mal ? J’étais pleine d’inquiétude et de remords hier en te quittant et je regrettais beaucoup d’avoir tant insisté pour me faire accompagner par toi. Je t’assure que je m’en voulais beaucoup de mon égoïsme et que je me faisais d’amers reproches tout le long du chemin. C’est dans cette disposition d’esprit que je suis arrivée chez mes villageois [1] qui m’attendaient tous sur la porte avec une impatience DÉVORANTE. Ona s’est mis à table tout de suite mais la chaleur et le remords m’avaient ôté l’appétit aussi j’ai fait peu d’honneur à la cuisine de la marquise [2]. Le soir on est revenu comme on a pu jusqu’au château des fleurs où nous avons trouvéb deux voitures dans lesquelles nous nous sommes incrustés tant bien que mal. Lacombe avec une dame et ses deux jeunes filles, M. Petit, sa femme, moi, les deux servantes et le petit garçon dans l’autre. À 11 h. nous passions devant votre porte et je vous envoyais tout ce que j’avais de plus doux et de plus tendre dans l’âme pour vous en faire un dictame pour tous vos maux. Vous me direz si cela vous a réussi et si je m’entends à guérir ceux que j’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16368, f. 241-242
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
a) « Ont ».
b) « trouvés ».
5 août [1850], lundi, midi ½
Je viens de faire une stupidité absurde et je ne me rends pas bien compte à l’heure qu’il est de l’espèce de chauvinisme maritime qui m’a fait agir. Le plus triste ou du moins le plus embarrassant pour moi c’est d’avoir dépensé 30 francs que je ne saurai comment remplacer à moins que tu ne me prennes en pitié et que tu veuilles bien reprendre mon marché à prix coûtant. Le plus triste pour moi c’est que je crains que tu ne me grondes et que tu ne te fâches, choses que je redoute plus que tout au monde. Décidément je ne sais pas où j’avais la tête quand j’ai fait cette absurdité. Mais j’y pense, si tu ne peux pas te charger de réparer ma sottise je crois que je trouverai facilement à l’écouler auprès de mes marquis [3]. Ainsi ne me gronde pas, ne te fâche pas parce que le mal n’est pas aussi grand qu’il pourrait l’être et que je me suis fait déjà deux heures de semonces. Je serais trop heureuse si tu vas bien et si la course d’hier ne t’a pas fait de mal. Je t’attends pour le savoir. Tu serais mille fois bon, charmant et béni si tu venais tout de suite me le dire. Je t’attire de l’âme et du cœur, mon Victor adoré, et je baise tes divins petits pieds.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16368, f. 243-244
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette