3 août [1850], samedi matin, 7 h.
Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, ne vous réveillez pas. Je vais passer tout à l’heure sous vos fenêtres en allant prendre mon bain et je vous enverrai mon âme dans un baiser à travers votre persienne entrouvertea. Plus tard, quand je vous verrai, je vous raconterai la GRANDE RÉCONCILIATION de la grosse Juju avec le petit Lacombe [1]. Vous saurez comment j’ai été amenée à dompter ma répugnance pour cette hideuse araignéeb et pourquoi j’ai consenti à me laisser accompagner par elle jusqu’à ma porte. À propos de porte, nous avons rencontré à la vôtre le célèbre Alboize [2] sortant de chez vous probablement et avec lequel mon affreux olibrius a échangé un bonsoir d’un bout de la rue à l’autre. Du reste je suis invitée à fer et à clouc pour dîner demain dimanche. Il m’était difficile de refuser, surtout qu’on avait besoin de Suzanne. Cependant si tu devais me donner ta journée tout entière je t’assure que je ne me ferais aucun scrupule de les planter là. Mais comme cela n’est pas probable j’ai accepté sous condition. J’espère que tu pousseras la bonté jusqu’à m’accompagner et que tu viendras de bonne heure. J’y compte, mon vicomte et je vous [paye ?] en acompte, ce qui n’est pas mon compte.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16368, f. 233-234
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
a) « entr’ouverte ».
b) « arraignée ».
c) « cloud ».
3 août [1850], samedi après-midi, 2 h. ½
Le père Künckel sort de chez moi ; il est plus que jamais d’avis des bains de mer et de l’air de la mer [3]. Hélas ! pourquoi faut-il que M. Louis n’ait pas cette même opinion pour toi ? À ce sujet, pauvre adoré, je pense que c’est aujourd’hui qu’on doit te brûler [4]. Pourvu que cela ne te fasse pas trop souffrir. Quand donc finironta ces douloureuses opérations ? Il me semble qu’on ne peut cautériser indéfiniment ? Mais j’ai toute confiance en M. Louis et je suis bien sûre qu’il ne prolongera pas sans nécessité ce traitement si désagréable. Je voudrais pour tout au monde que tu sois guéri et que nous ayons un mois d’amour et de loisir devant nous sur quelque plage lointaine ou seulement au bord d’un ruisseau plein de cresson et couvert d’ombre. En attendant, je croque le marmot [5] et je me ronge les poings qu’aux coudes, passe-temps assez fastidieux. Je n’ose pas t’espérer de bonne heure à cause de ton opération mais je ne peux pas m’empêcher de te désirer de toutes mes forces et de t’aimer de tout mon cœur et de toute mon âme. Je pense à toi, mon doux adoré, avec un ineffable sentiment de reconnaissance et d’admiration. Je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16368, f. 235-236
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
a) « finirons ».