2 août [1850], vendredi matin, 7 h. ½
Bonjour, mon Toto, bonjour, ne vous réveillez pas et laissez-moi aller et venir dans vos rêves comme je l’entends. Vous n’êtes pas revenu hier au soir, mais à vrai dire je n’y comptais pas car j’ai verouilléa ma porte à dix heures. J’étais tellement fatiguée que j’espérais dormir mais j’avais compté sans l’insomnie et sans la grenaille de petites punaises orphelines et errantes qui venaient me demander l’hospitalité, les INNOCENTES. Tu penses avec quelle mansuétude je les [ai] accueillies. C’est-à-dire que mes draps, mes chemises, mon oreiller sont rouges du massacre que j’en ai fait. Aussi j’ai très peu et très mal dormi. Je commence même à trouver que la résistance dure un peu trop longtemps du côté de cette faible et intéressante vermine. Voilà la quatrième nuit que je suis sur le qui-vive et que j’extermine toutes les sentinelles avancées et tous les avant-postesb de ce peuple immonde mais je commence à être très fatiguée et pour peu que cela se prolonge encore quelques nuits je me laisserai dévorer de guerre lasse. En attendant, je te fais des récits homériques à dormir debout sur toutes ces péripéties sanglantes. Cela n’est ni propre ni amusant et je crois que je ferai mieux de garder mes aventures nocturnes pour moi toute seule. Baise-moi et pardonne-moi mes CONFIDENCES par trop prosaïques.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16368, f. 229-230
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
a) « verouillée ».
b) « avants-postes »
2 août [1850], vendredi midi
Je ne suis pas encore partie, mon amour, ni prête à partir. On voit bien que vous ne savez pas ce que c’est qu’un ménage…… dont on s’occupe. Le mien me prend le plus clair et le meilleur de mon temps et ce n’est pas malheureux car si je ne m’étais pas créé cette occupation forcée il y aurait longtemps que j’aurais succombé à l’impatience et à l’ennui que me cause ton absence. Certainement cela ne te remplace pas dans ma pensée et dans mon cœur. Je ne le sens que trop bien, mais cela empêche le découragement physiquea de s’emparer de moi ce qui est quelque chose. Je serai revenue à deux heures car je n’ai qu’à aller chez Jourdain pour le prévenir que son argent est prêt et chez la mère Lanvin pour lui donner l’argent et la reconnaissance [1]. Cher petit homme, je crois que tu as bien fait de retirer ce couvert pour lequel nous payons des intérêts monstrueux depuis dix-huit ans. Je crois même et je t’assure que mon intérêt personnel n’est pour rien dans mon opinion, qu’il vaudrait mieux emprunter à cinq de cent pour dégager ces effets qui se détériorentb sans qu’on en use puisqu’il y aurait encore un bénéfice net de 4 pour cent, sans parler des doubles emplois de renouvellement et des ennuis de tous genres que cela entraîne. Cependant, mon amour, puisque tu ne le fais pas c’est que tu en juges autrement et tu dois avoir raison. Je respecte ton opinion et je te remercie de nouveau pour le petit sacrifice que tu viens de faire.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16368, f. 231-232
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
a) « phisique ».
b) « déterriore ».