5 février [1850], mardi après-midi, 2 h. ½
Mme Montferrier sort de chez moi, mon amour, et elle veut que je dîne chez elle ce soir. J’ai voulu lui résister d’aborda mais j’ai cru voir que cela la désobligeait et j’ai promis d’y aller. Mlle Heinefetter et sa sœur [1] doivent chanter chez elle ce soir, il y aura probablement du monde ce qui me contrarie à cause de la monotonie de ma toilette. Cependant j’irai puisque ma marquise l’exige, mais j’aimerais mieux le petit comité et surtout par-dessus tout je voudrais que cela ne me fasse pas perdre une seule chance d’être avec toi. Elle désire inviter tous les Vilain [2] à dîner pour dimanche prochain, et moi par contre coup. Pour me laisser plus de temps pour te voir ils ne dîneront qu’à six heures. C’est beaucoup de complaisance de leur part mais cela ne m’empêchera pas de sacrifier une heure et demieb peut-être de mon pauvre bonheur pour leur être agréable. J’ai bien envie de refuser. J’espère que les Vilain trouveront quelque empêchement pour n’y pas aller, ce qui m’épargnera l’ennui et la désobligeance d’un refus. Maintenant je ne sais plus auquel entendre, on se m’arrache. C’est dommage que je ne puisse pas mettre mon cœur à la place de mon estomac et faire un Dieu de mon ventre. À ce compte-là j’y trouverais mon profit. Mais dans l’état où je suis pour le moment cela ne me satisfait pas le moins du monde et je n’en regrette que plus vivement le temps où je n’entendais que ta douce voix, où je ne voyais que toi et où je ne mangeais qu’avec toi.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16368, f. 20-21
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse
a) « dabord ».
b) « demi ».