29 janvie [1850], mardi matin, 10 h.
Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, de mon lit où je suis encore et où je resterai probablement toute la journée d’aujourd’hui. Si tu savais quelle affreuse nuit j’ai passée tu serais étonné que j’aie même la force de t’écrire. J’ai cru que je deviendrais folle par la violence de mon mal de tête. De plus des haut-le-cœura qui ne m’ont pas quittée jusqu’à présent et tu comprendras comment il se fait que je reste dans mon lit malgré le désir ardent que j’ai de t’accompagner. Mais, hélas ! la Juju propose et la migraine dispose. Elle en dispose si impérieusement que c’est à grand-peine que je te gribouille ces quelques lignes.
2e feuille. 29 janvie[1850], mardi matin, 10 h.
Quel queb soit mon courage et surtout le besoin de te voir, mon adoré, je suis vaincue par la courbature et le mal de tête. Dans ce moment il me semble que je vais me trouver mal tant l’accès de migraine estc violent. Je tâche de m’en distraire en t’écrivant car je ne peux ni lire ni dormir. Ordinairement cela me réussit et je me trouve beaucoup mieux après. J’espère qu’il en sera de même cette fois-ci et voilà pourquoi je persiste à te griffouiller l’histoire de ma migraine depuis le moment où tu m’as quittée hier au soir jusqu’à présent.
Cher petit homme tu as été bien gentil de venir au-devant de moi, seulement je trouve que tu ne restesd pas assez. Plus tu me donnes et plus je veux avoir. Malheureusement tu me donnes assez peu de bonheur à la fois pour justifier ma rapacité.
MVH, α 8329 et α 8330
Transcription de Nicole Savy
a) « hauts-le-cœur ».
b) « Quelque ».
c) « et ».
d) « reste ».
29 janvier [1850], mardi midi, 1 h. ½
Je suis toujours dans le même état d’exaspération d’une part et de prostration de l’autre, mon cher petit bien-aimé. J’avais espéré en secret que la violence de ma migraine diminuant je serais encore assez à temps prête à t’accompagner, mais je vois bien maintenant qu’il faut rayer cela de mes papiers et de mon pauvre cœur malade et découragé. Je tâche de me consoler et de me faire reprendre cœur au ventre en pensant que tu m’as promis de souper avec moi samedi prochain. D’ici là je serai guérie ou morte de rage. Mais en attendant je n’en perds pas moins aujourd’hui l’occasion de te conduire c’est-à-dire de te voir, de t’entendre, de te sentir, de vivre avec toi de la vraie vie des yeux, des oreilles, des lèvres, de l’âme et du cœur.
2e feuille, 29 janvier [1850], mardi, midi ½
Ce regret n’est pas fait pour calmer mon mal de tête tant s’en faut aussi. Il est probable que je ne mea sentirai pas mieux tant que je n’en auraib pas pris mon parti en brave, ce qui est plus facile à dire qu’à faire. Jusqu’à présent je n’y ai pas réussi. Je t’attends pour savoir si je serai plus courageuse après t’avoir vu mais j’en doute. Je ne sais à quoi attribuer les violents maux de tête qui me houspillentc trois ou quatre fois par an. Cela ne ressemble à rien et n’est en aucune manière proportionné aux forces humaines. Cette nuit j’ai cru mourir et je sentais ma raison broyéed comme dans un mortier. Mais à travers les plus effroyables douleurs mon amour allumé brillait comme un phare dans la tourmente et je ne t’ai jamais plus ni mieux aimé que pendant cette longue nuit de souffrances. Mon Victor je t’aime d’un amour immortel comme mon âme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16368, f. 10-11
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse
a) « je me ».
b) « je n’en n’aurai ».
c) « houspille ».
d) « broyer ».