27 janvier [1850], dimanche matin, 9 h.
Bonjour mon tant, mon tout, mon trop adoré, bonjour.
À quoi faut-il que je m’attende aujourd’hui ? Quellea sera la déception qui viendra m’attrister ? Je voudrais pouvoir l’éviter mais je sens qu’il est dans ma destinée de les subir toutes. Je ne m’y résigne pourtant pas, tant s’en faut, et malgré l’inutilité de mes efforts pour échapper à des atroces mystifications quotidiennes, je suis toute prête à les recommencer. Cher adoré, mon amour, ma gloire, ma joie, mon soleil radieux, mon âme, je te baise par les pieds comme on fait du bon Dieu. Dors bien, mon Victor adoré, que toutes les admirations et toutes les adorations repassent en songe devant toi et te donnentb un avant-goût de la joie du paradis. Si tu avais pu entendre toutes les tendresses virginales de mes deux petites filles hier [1], tu aurais été bien content. Si tu pouvais voir mon cœur, tu serais bien fier et bien heureux. Mon Victor, mon sublime bien-aimé, je t’envoie tout ce que j’ai de meilleur en moi : mon âme dans un baiser. Tâche de venir de bonne heure, tu me combleras de joie et de bonheur.
Juliette
Leeds, BC MS 19c Drouet/1850/20
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen
a) « Qu’elle ».
b) « donne ».
27 janvier [1850], dimanche après-midi, 4 h.
Je t’ai vu, mon adoré, c’est de quoi me faire prendre patience, mais ce n’est pas assez pour éclairer toute cette journée d’un long rayon de bonheur. Je te remercie de ta chère petite apparition, elle me prouve que tu penses à moi et que tu en as pitié. Mais si tu veux me prouver que tu m’aimes, tu tâcheras de revenir tout de suite et de rester jusqu’à l’heure de ton dîner. Mon cher petit homme, n’est-ce pas [que] l’amour rend une pauvre Juju bien exigeante ? Je ne m’en cache pas puisque je te désire comme je t’aime, c’est-à-dire de toute mon âme. Je sais combien tu es occupé, mon amour, aussi je ne t’en voudrai pas si tu ne peux me donner qu’une minute, quelle qu’elle soita je l’accueillerai avec toute la reconnaissance et toute la joie d’une longue journée de bonheur. Je te prie de venir, comme je prie le bon Dieu de te donner tout le bonheur du monde. Et puis je t’attends et puis je t’adore et puis je recommence sur de nouveaux frais et sans me lasser jamais.
Si tu y passes, mon amour, apporte-moi le journal d’Ulbach [2]. Mais sur quoi j’insiste impérieusement c’est sur les mesures de ton meuble. Si tu pouvais l’apporter pendant qu’Eugénie est à la maison aujourd’hui, ça ne serait pas si bête et je serais très heureuse pour ma part. En attendant je te baise indéfiniment.
Juliette
Leeds, BC MS 19c Drouet/1850/21
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen
a) « quelqu’elle ».
b) « Hulbach ».
Lundi 27 janvier 1850
[Elle est désolée parce que Hugo retenu à la Chambre par une séance, n’est pas venu la voir :] « … je sens qu’il serait monstrueux de t’en faire remonter la responsabilité mais je peux bien dire que c’est une fichue vie que la mienne au point de vue de l’amour et de la jalousie. Je n’ai pas le temps de te donner le moindre baiser ni de te faire la moindre scène c’est dégoûtant. Que le diable emporte la politique et tous ceux qui l’ont inventée, pour moi j’en ai plus que par-dessus la tête… S’il y a jamais une nouvelle Révolution de Février [3] et encore plus de Juillet [4] j’en profiterai pour abolir tous ces pseudonymes de trahison, de mystification et d’abomination, quand je devrais tirer le nez au président de la République tout bonnement… Il faudra pourtant que toutes ces choses aient une fin comme dans les meilleurs romans de Ducray-Duminil [5]. Dussions-nous avoir beaucoup d’enfants et la République aussi. Jusque-là tâchez de venir tout à l’heure et préparez de bonnes menteries pour détourner mes soupçons qui sont en quête de quelque infamie révoltante. Prenez garde à vous Toto car ce sera féroce… »
BnF, Mss, NAF 16368, f. 9
Copie de Lettre de Juliette Drouet à Victor Hugo provenant de la collection Alfred Dupont vendue à l’Hôtel Drouot en décembre 1958.
Lettre mise à prix : 8000 francs
Adjugée : 16 000 francs plus 21,20%