26 janvier [1850], samedi matin, 9 h.
Bonjour, mon Toto, bonjour mon tout adoré, bonjour.
Je regrette de n’avoir pas pu accepter l’offre que vous m’avez faite cette nuit, vieux sournois, peut-être parce que vous saviez que cela n’était pas possible, mais j’aimerais mieux à l’avenir que ce fût vous qui veniez parce que je le trouverais plus convenable de toute façon. Du reste nous en reparlerons dans un moment plus opportun pour tous les deux.
Cher adoré bien-aimé, je suis bien reconnaissante de ce que tu as fait pour moi hier au soir. J’avoue que je n’y comptais pas à cause des difficultés qui devaient s’opposer à ce que tu vinssesa si tard mais tu as compris tout le besoin que j’avais de te revoir après tant de journées et nuits stériles et tu es revenu malgré tous les empêchements. Merci, mon petit homme adoré, merci. Je t’aime.
Tâche de ne pas me reprendre la bonne promesse que tu m’as faite pour jeudi prochain. Demain j’avertirai les Vilain de se tenir prêtsb pour ce jour-là. Tout bien compté j’aime mieux t’attendre au coin de mon feu que de courir les théâtres, c’est-à-dire la chance de voir des inepties. J’aime mieux être reposée et prête à te recevoir l’heure où tu pourras venir que de barboterc dans la prose, les couplets et les rues des vaudevillistes et de Paris. Je t’attendrai chez moi, tâche que ce ne soit pas en vain.
Juliette
Leeds, BC MS 19c Drouet/1850/17
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen
a) « vinsse ».
b) « près ».
c) « barbotter ».
26 janvier [1850], samedi midi
Je suis bien blaireuse, mon petit homme, et il ne faut rien moins que le désir de t’accompagner pour me donner le courage de lever les bras et d’agir d’une façon quelconque. Depuis hier je suis vraiment souffrante. Cela se passera comme c’est venu, mais pour le moment je suis absurde et malingre au dernier point.
Mon Dieu que tu as été bon et charmant hier, mon bien-aimé. Ce n’est pas seulement dans tes œuvres sublimes que tu te montres grand et généreux, c’est encore et surtout envers une pauvre femme triste et maussade que tu es mille fois bon, patient et éloquent. Mon Victor adoré, que tout ce que j’ai de reconnaissance et d’amour s’ajoute à ton auréole de gloire. Que le bon Dieu ajoute ce qui me reste à vivre à tes jours bénis, que ma part de paradis te soit donnée dès à présent en ce monde. Mon Victor, tu ne sais pas combien je t’aime. Je ne le sais pas non plus car tous les jours je découvre de nouveaux horizons à mon amour. Tous les jours de nouvelles admirations se superposent aux autres. Aussi, mon Victor, je t’aime plus que tous les superlatifs du monde ne peuvent en contenir. Je t’aime plein mon cœur, plein la terre et plein le ciel. Je n’ai qu’un désir, te voir, qu’un besoin, te voir, qu’une ambition, être aimée de toi, tout le reste n’existe pas pour moi si ce n’est comme fatigue et comme ennui. Je te baise autant que je t’adore.
Juliette
Leeds, BC MS 19c Drouet/1850/18
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen