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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 janvier [1850], vendredi matin, 9 h.

Bonjour, mon tant adoré, bonjour. Je ne t’accuse pas, je t’aime. Je voudrais baiser tes pieds, tes mains, tes lèvres, ton grand front et tes beaux yeux. Le chagrin de ne pas te voir me rend souvent injuste à la surface mais dans le fond de mon cœur je te plains, je t’admire et je te bénis. J’ai été absurde hier en refusant tes lettres. C’était encore un cri de souffrance. Tu ne sais pas, mon adoré, avec quel regret je t’ai vu me supprimer cette marque de confiance et d’intimité. Aussi chaque fois que par un hasard quelconque tu me rends cette blessure plus douloureuse en m’apportant quelques débris de ta correspondance, je ne peux pas m’empêcher de te laisser voir ce que je souffre. Cependant, mon bien-aimé, si j’avais su hier ce que contenait le paquet de lettres que tu m’apportais, j’aurais fait taire ma susceptibilité blessée et je t’aurais remercié de toute mon âme. Car après le bonheur de t’aimer, il n’y en a pas pour moi de plus grand que de te savoir admiré, honoré et vénéré de tout le monde pour ton sublime génie et pour ton divin dévouement à l’humanité. Aussi, mon cher petit homme, loin que la lecture de ces lettres que je croyais injurieusement insignifiantes m’ait humiliée, j’en ai été la plus fière et la plus heureuse des femmes. Non pas que j’aie besoin pour être heureuse et fière de toi de l’approbation de personne au monde, mais pour la justice que tous les nobles cœurs rendent à ton courage et à ton désintéressement. Merci, mon amour, de m’avoir fait entendre une partie de ce beau concert de louanges, de bénédictions et de reconnaissance auquel je mêle ma voix, mon âme et mon cœur.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1850/15
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen


25 janvier [1850], vendredi midi

Je t’attends, mon Toto, avec une tendre et triste impatience parce que je sais qu’une fois que je t’aurai vu je ne te reverrai plus de la journée puisque tu dînes en ville. Ce n’est pas que je regrette ce pauvre petit moment de distraction que tu vas prendre et dont tu es si sobre, bien loin de là, mon adoré, mais je t’aime tant que je ne peux pas me résigner gaiment à ne pas te voir depuis le matin jusqu’au soir et depuis le soir jusqu’au matin. Encore si tu pouvais venir me voir en sortant de ce dîner, cela me donnerait du courage pour attendre jusqu’à demain, mais je ne l’espère pas. Ton temps est trop pris de toute part pour que tu puissesa en distraire quelques minutes pour me les donner. Quoi qu’il en soit, mon cher petit homme, je veux que tu manges bien, que tu t’amuses bien et que tu penses un peu à ta pauvre Juju.
Je voudrais aussi que tu prissesb un jour, un soir, l’heure que tu voudras enfin pour manger avec moi. Il y a bien longtemps que tu m’as promis cette faveur. Il serait temps enfin de me la donner. Prends le jour et l’heure qui te conviendront le mieux, pourvu que ce soit très prochain. Je serai très heureuse. Jusque-là, mon petit homme, ne t’étonne pas de tous les petits mouvements d’impatience et de tristesse que tu remarqueras en moi. Il m’est impossible dans l’état de chose qui nous sépare que ce ne soit pas ainsi puisque je t’aime par-dessusc tout.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1850/16
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen

a) « puisse ».
b) « prisses ».
c) « pardessus ».

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