4 janvier [1850], vendredi matin, 8 h. ½
Bonjour, toi, bonjour, vous, bonjour, Toto, bonjour qu’on vous dit à pied et à cheval, à rouge et à blanc, bonjour. Vous n’êtes pas revenu hier au soir, vieux paresseux, et je vous approuve si c’est pour épargner votre santé, c’est-à-dire ma tranquillité, ma joie, mon bonheur et ma vie. Mais si c’est pour faire [de] l’œil à des femmes et montrer vos dents aux Olympes de votre connaissance alors je me révolte et je dégaine mon grand couteau. Avec tout cela, mon cher petit homme, je ne vous vois pas et vous en prenez l’affreuse habitude. Quant à moi je ne m’y habituerai jamais je vous en préviens, et je protesterai contre cet abus de la force jusqu’à mon dernier soupir.
Vous ne vous êtes même pas aperçu que j’étais en retard de deux griffouillis puisque vous n’êtes pas venu les chercher. Hier dans la crainte de vous faire attendre je me suis levée de très bonne heure et je n’ai pas pris le temps de vous gribouiller mes tendres niaiseries. Aujourd’hui au risque de vous faire attendre un peu je me donne la satisfaction de faire du STYLE et de l’orthographe à plein collier [1]. Quand ça ne serait que pour vous montrer le chemin et vous encourager à en faire AUTANT pour votre JEAN TRÉJEAN [2]. Il me semble, mon Toto adoré, que tu ferais bien de te mettre en mesure contre cette effrontée piraterie littéraire en essuyant le succès qui t’appartient sous le pied de ce filou de lettres [3]. Mais je te dis là des choses que tu sais mieux que moi. Je ferais bien mieux de te prier de m’aimer toute la vie.
Juliette
MVH, α 8497
Transcription de Nicole Savy
4 janvier [1850], vendredi matin, 10 h.
Prends courage, mon amour, voici le dernier gribouillis d’aujourd’hui. Ce n’est pas que j’aie beaucoup pitié de toi, mon égoïsme naturel m’empêche d’avoir ce sentiment bien développé, mais la crainte de te manquer tantôt me fait couper court à mes élucubrations. Cher petit homme, pourquoi m’avez vous laisséea prendre cette mauvaise habitude c’est votre faute. Maintenant il m’est impossible d’y renoncer car elle fait partie de moi-même. Tout ce que je peux faire c’est de me rationner mais ma discrétion ne peut pas aller plus loin, à moins que vous ne veniez vous-même tenir la place de mon bonheur absent. À cette condition je consens à ne jamais vous griffouiller [tant ?] de syllabes. Sinon je me livre aux in-folios les plus assommants. C’est à vous de choisir en somme puisque je vous mets si généreusement à même.
En attendant, mon très aimé petit Toto, je voudrais bien que vous me donnassiez une soirée pour ce fameux souper si longtemps attendu et toujours si désiré. C’est à vous de voir le soir qui vous sera le plus opportun et de m’en prévenir. Tâchez que ce soit bientôt.
En attendant je vous aime comme un pauvre chien et je cours derrière vos talons avec la même fidélité.
Juliette
MVH, α 8498
Transcription de Nicole Savy
a) « laissez ».